Témoignages : qu'en disent-ils et elles ?

Écoutez des témoignages contemporains sur le celtisme : qu'est-ce que le celtisme et quelle place occupe-t-il ? Le grand druide de la Gorsedd de Bretagne, une bénévole au Festival Interceltique, le vice-président de la confédération des cercles celtiques Kenleur, et un écrivain, auteur d'héroïc fantasy, nous répondent.

Ces entretiens ont été réalisés par le Musée de Bretagne en 2021 et 2022, par Marie-Noëlle Faulon, Cécile Le Faou (interview) et Arnaud Géré (montage).

Portrait de Per Vari Kerloc'h, grand druide de la Gorsedd de Bretagne.

Per Vari Kerloc’h

Grand druide de la Gorsedd de Bretagne

« Le druidisme, il nait forcément dans la civilisation et dans la société celtique. […] C'est cette permanence quand même, à travers la langue, à travers la culture, à travers la musique, qui nous légitime : c'est ce qui légitime l'existence du druidisme contemporain, c'est évident. »

Français
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Breton
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Le druidisme, il nait forcément dans la civilisation et dans la société celtique. Il est né historiquement dans les sociétés celtiques, je dis « les » parce qu'avec le temps en Gaule, on n'est pas dans le même espace-temps que ce que l'on va trouver après au Pays de Galles et en Irlande.

Donc c'est « les sociétés celtiques », parce que je considère que la société celtique vient jusqu'à nos jours, que même si elle est diffuse, et que la pratique en Bretagne de la langue bretonne est moindre - peut-être en tout cas en nombre de locuteurs - que ce qu'elle a été à une certaine époque, on est toujours dans une société celtique à partir du moment où ils parlent [breton]. Forcément, une société celtique contemporaine est comparable aux sociétés qui l'entourent. C'est cette permanence quand même, à travers la langue, à travers la culture, à travers la musique, nous légitime : c'est ce qui légitime l'existence du druidisme contemporain, c'est évident.

Mais la philosophie de la nature n'est pas forcément évidente dans ce qu'on appelle le celtisme, qui est plus diffus, et qui englobe plein de choses. Le druidisme est plus spécifiquement situé sur le terrain spirituel, philosophique - pour certains religieux - que le celtisme, qui peut être limité au culturel « pur ». Alors évidemment, la Gorsedd, il y a aussi un côté culturel et un côté symbolique et spirituel.

La Gorsedd s'appelait en fait au départ Goursez Gourenez Breizh izel, c'est-à-dire la Gorsedd de la presqu'île de Bretagne. Ça imitait un peu le nom gallois parce que les gallois l'appellent l'île de Bretagne, « Ynys Prydain ». Ils vont créer … Ils prennent la décision en septembre 1899, et ils vont réaliser une assemblée au cours de l'année 1900 à Guingamp, pour jeter les bases d'une association. C'est à ce moment-là qu'ils décident de prendre le modèle gallois, et donc de faire trois ordres internes à la Gorsedd : les druides, les bardes et les ovates.

Dans le siècle, ont eu lieu les premiers contacts interceltiques, en 1867 de mémoire ou 1864, qui ont permis un premier congrès en fait entre les Celtes, avec des rencontres avec des gens venant d'Irlande, d'Écosse et du Pays de Galles principalement. Aujourd'hui encore, les liens entre la Cornouailles et le Pays de Galles sont relativement forts, c'est-à- dire qu'il y a trois Gorsedd dans le monde, une petite quatrième maintenant en Patagonie, mais bon c'est un déport un peu de la Gorsedd de Galles. Et donc les relations restent importantes, nous envoyons des délégués tous les ans en Cornouailles et eux nous envoient des délégués à la Gorsedd Digor. On ne peut d'ailleurs tenir une Gorsedd Digor qu'en présence de délégués de Grande-Bretagne, pour pouvoir faire la cérémonie de l'épée brisée, et donc rassembler en fait tous les membres de la Celtie, voilà c'est comme ça qu'on dit.

Portrait d'Hélène Bonniec, bénévole au Festival Interceltique de Lorient

Hélène Bonniec

Bénévole au Festival Interceltique de Lorient

« Les premiers pays invités étaient les principaux, c'est-à-dire Irlande, Écosse, le Pays de Galles, la Cornouailles, l'Île de Man et la Bretagne. Ensuite, le festival s'est ouvert aux Asturies et à la Galice et plus récemment à l'Acadie. […] L'interceltisme c'est finalement le lien qui unit les pays dits celtiques. »

Français
Durée : 3 min 06 Poids : 2,6 Mo
Breton
Durée : 4 min 34 Poids : 4 Mo
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J'ai connu le FIL (Festival Interceltique de Lorient) à l'âge de 17 ans lors de vacances avec ma maman dans le Morbihan. J'ai commencé mon engagement en 2011, suite à une année en Irlande, qui m'a permis de maîtriser l'anglais.

Pour moi le Festival est vraiment unique pour plein de points différents. Tout d'abord c'est un festival qui vraiment investit la ville pendant dix jours. Il y a beaucoup d'activités proposées, que ce soit des stages de danse, de musique, des jeux, des marchés … On peut aussi découvrir les pays celtes de plein de façons différentes, avec les plats traditionnels. Il y a aussi du cinéma, des fest-noz, des conférences aussi, sur des thèmes vraiment divers et variés.

Les premiers pays invités étaient les principaux, c'est-à-dire l'Irlande, l'Écosse, le Pays de Galles, la Cornouailles, l'Île de Man et la Bretagne. Ensuite, le festival s'est ouvert aux Asturies et à la Galice et plus récemment à l'Acadie. Maintenant nous sommes arrivés à un nombre de spectateurs de 750 000 sur 10 jours environ, ce qui n'était pas le cas il y a 10 ans. Donc l'effectif augmente, c'est que les gens sont vraiment intéressés et passionnés par ce festival pour y revenir chaque année (parce qu'il y a beaucoup d'habitués).

En breton, le Festival Interceltique de Lorient est traduit finalement mot-à-mot par festival etrelkeltiec an oriant, mais sur la plupart de documents officiels ou même sur l'affiche, on rencontre régulièrement, et c'est même je pense la traduction originelle, le terme Emvod ar Gelted. Emvod ar Gelted signifie le rassemblement des Celtes, l'union des Celtes ou la réunion des Celtes.

L'interceltisme c'est le lien, lien finalement qui unit les pays dits celtiques, comme l'Écosse, l'Irlande, la Bretagne, le Pays de Galles, la Cornouailles, l'Île de Man. Ces liens se sont créés aussi principalement parce qu'ils parlent des langues celtiques, et forcément ces liens, créés à la fois par la langue et par une sorte d'histoire un peu commune, créent des liens que moi j'appellerais des "liens interceltiques". Mais c'est vrai que ce terme n'est pas facile à utiliser pour moi. J'ai pu remarquer que beaucoup de gens utilisaient le terme Festival de Lorient plutôt que de Festival Interceltique, et je me demande du coup si peut-être la raison ne serait pas que Festival de Lorient parait quand même plus concret que Festival Interceltique.

Portrait de Jean-Philippe Jaworski, auteur des romans du cycle d'héroïc fantasy "Rois du monde"

Jean-Philippe Jaworski

Ecrivain français de fantasy

« On se recrée en quelque sorte une identité rêvée ou fantasmée à partir d'éléments qui sont des éléments linguistiques, toponymiques très nets, mais il y a une recréation. […] Pour moi, le celtisme, c'est un sujet de roman avant tout, c'est un sujet de fiction. »

Français
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Lecture d'un extrait de Même pas mort, Rois du monde, t.1, Folio, pp.11-12, par l'auteur

« Nos chevaux, nos armes, nos torques signalaient des voyageurs puissants, ce qui nous garantissait normalement un bon accueil. Toutefois, ce sont la lyre et le court manteau à capuchon d'Albios qui nous ont valu des mouvements de sympathie : au premier coup d'œil, les Osismes ont reconnu un barde, et ils l'ont salué avec une certaine déférence.

Nos montures ont été conduites dans un parc où s'ébattait le haras du roi, puis on nous a menés à son palais. Le crépuscule, qui assombrissait les façades de torchis et poudrait le ciel de quelques étoiles, avait rappelé pâtres et laboureurs dans les murs. En chemin, les femmes, les artisans, les bouviers nous interpellaient familièrement. Les Osismes pratiquent la même langue que nous, mais j'avais du mal à comprendre leur accent et certaines tournures locales ; Albios quant à lui, les entendait sans peine et répondait par des plaisanteries et des demi-vérités. Comme à l'ordinaire, on nous demandait d'où nous venions et de quelles nouvelles nous étions porteurs. Sans les ambactes lourdement armés qui nous avaient escortés depuis les portes de la cité, nous aurions sans doute été retenu par des curieux tous les dix pas. »

Entretien :

Rois du monde est un cycle romanesque qui s'intéresse à un personnage semi-historique, Bellovèse, à son frère Ségovèse et à leur oncle Ambigat ou Ambigatus. Ce sont trois personnages qui sont cités brièvement dans l'histoire romaine de Tite-Live comme étant, en ce qui concerne les deux frères Bellovèse et Ségovèse, les premiers conquérants gaulois. L'un serait parti vers la forêt hercynienne (Ségovèse), et l'autre qui serait parti vers Marseille tout d'abord, puis l'Italie. Chez Tite-Live, ces personnages n'apparaissent que l'espace d'une page. J'ai décidé de m'en emparer et d'en faire les personnages principaux d'un cycle romanesque.

Qu'est-ce que le celtisme ?

C'est un retour à des sources plus ou moins fantasmatiques. En ce sens qu'indéniablement, on a dans nos sociétés occidentales un héritage celtique très très fort : dans le paysage (en tout cas avant l'agriculture intensive on avait un paysage hérité du monde celtique), dans le vocabulaire, dans notre façon de compter aussi, on a vraiment un héritage celtique très fort y compris dans des régions qui ne sont absolument pas d'identité celtique. Et en même temps, je crois qu'on se recréé une identité parce qu'on est quand même très fortement imprégné par d'autres cultures : bien sûr la culture latine mais on a aussi été fortement imprégné au Moyen Âge par les cultures germaniques. On se recrée en quelque sorte une identité rêvée ou fantasmée à partir d'éléments qui sont des éléments linguistiques, toponymiques très nets, mais il y a une recréation. Moi, je vois le celtisme de cette façon-là. Pour moi, c'est un sujet de roman avant tout, c'est un sujet de fiction. Une fiction que je vais ancrer dans un passé lointain, qui est notre passé, mais ça reste de la fiction.

Je me rends bien compte que ma définition est complètement floue parce que moi-même je vais y puiser ce qui m'intéresse pour raconter une histoire qui reste avant tout une histoire visant à l'évasion du lecteur. J'y perçois très bien des éléments de ma propre identité mais c'est très difficile à définir de façon précise.

Est-ce que je vois la Bretagne comme celtique ?

Ah oui bien sûr, en ce sens qu'on y parle de des langues celtiques. Il y a une espèce d'identité proto-nationale qui est fondée sur le celtisme en Bretagne, ce qui est pas du tout le cas dans les autres régions de France, alors qu'il y a aussi un héritage celtique (mais historique et pas forcément linguistique). Alors bien sûr, il y a la langue en Bretagne, il y a l'identité presque insulaire qui se distingue du reste, et puis il y a l'héritage du passé, de la quasi-indépendance qu'a connue la Bretagne pendant une grande période, qui fait que sans doute le celtisme permet de se démarquer du caractère roman du reste de la France.

Portrait de Robert Raulo, vice-président de la confédération des cercles celtiques Kenleur.

Robert Raulo

Vice-président de la confédération des cercles celtiques Kenleur

« L'appellation "cercle celtique" entre les deux guerres, c'était quelque chose de très sérieux. On défendait un patrimoine venu de nos ancêtres celtes et que l'on voulait transmettre. […] Et puis ce côté "celtique" peu à peu va se déliter au fil des ans. »

Français
Durée : 3 min 29 Poids : 2,9 Mo
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Les cercles celtiques en Bretagne, c'est une création qui remonte avant la Première Guerre mondiale. Les objectifs ont évolué, c'est évident. À l'heure actuelle les objectifs des cercles celtiques sont la conservation d'un patrimoine, la promotion de ce patrimoine mais aussi comme toute tradition, c'est la faire vivre. C'est-à-dire qu'une … une tradition n'est pas figée, elle évolue et donc chaque cercle dans sa sphère travaille de façon à bonifier ce qui a été donné par les anciens passeurs - pour préparer des spectacles, mais aussi en faisant des recherches de collectage soit de danse, soit de chant, soit au niveau du costume, voire même au niveau du patrimoine bâti. Donc les cercles en fait ils font de la recherche et ils font de la création.

J'ai l'impression que l'appellation "cercle celtique" c'est une appellation d'habitude, de routine. L'appellation "cercle celtique" entre les deux guerres, c'était quelque chose de très sérieux. On défendait un patrimoine venu de nos ancêtres celtes et que l'on voulait transmettre, avec toutes les caractéristiques évidemment que nous avaient, que nous auraient amenées les Celtes : l'esprit d'indépendance, le courage, la poésie. Certains textes par exemple dans les premiers Breizh, qui était le journal de la confédération Kendalc’h, juste après-guerre, dans les années 50, certains textes sont admirables, c'est-à-dire que les Celtes finalement ont créé toute la civilisation du monde : schématiquement on en arrive à ça. Et, ça peut se comprendre, évidemment. On sort d'une époque qui a été extrêmement troublée, le mouvement breton est un peu perdu parce que on ne peut plus trop se revendiquer Breton à ce moment-là, sinon on risque évidemment de se faire traiter de collaborateurs ou autre. Alors, on se rabat sur cette civilisation que l'on défend et que l'on magnifie, véritablement. Et puis ce côté "celtique" peu à peu va se déliter au fil des ans, et à l'heure actuelle l'appellation "cercle celtique", je vous le disais, est une appellation de routine. Certains groupes d'ailleurs commencent à se demander si elle est bien intéressante, si elle doit être gardée. Vous avez des groupes maintenant qui préfèrent s'appeler "cercle culturel breton" par exemple et donc l'adjectif celtique est enlevé.

Vous me demandez "qu'est-ce qu'il reste de celtique dans les cercles ? " Encore faudrait-il savoir ce que les Celtes pratiquaient comme musique, comme danse ou comme chant... les sources à ma connaissance sont très limitées.

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