3. Régionalisme et panceltisme

De la fin du 19ème siècle à 1945


Une communauté celtique étendue ?

Au tournant des 19ème et 20ème siècles, débute la construction d'une identité régionale distincte de la France, sur fond de panceltisme. Ce courant de pensée affirme l'existence de liens et d'intérêts communs avec les pays voisins de langue celtique (Pays de Galles, Écosse, Irlande).

Photographie monochrome d’un rassemblement druidique (Gorsedd). Le grand druide et son acolyte se tiennent debout sur une estrade, tenant l’épée brisée. Ils sont entourés par les druides, bardes et ovates. A l’arrière-plan, des spectateurs les regardent. La scène se déroule dans une clairière.

Rassemblement de druides

Négatif sur verre
22 juillet 1906
Musée de Bretagne, Rennes
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Les premières relations entre nations celtes, d'abord fondées sur des critères linguistiques, remontent à 1838 lorsqu’une délégation bretonne est accueillie au pays de Galles. Né en Grande-Bretagne au 18ème siècle, le mouvement néo-druidique gagne la Bretagne à la fin du 19ème siècle, imitant le modèle gallois. Il prend rapidement une place considérable dans l’essor du mouvement breton. Un premier festival interceltique se tient en 1927 à Riec-sur-Belon.

Intellectuels et militants bretons tissent ainsi des relations approfondies avec ces pays et de premières fêtes celtiques sont organisées dans les années 1920. Ce sont tout autant des rassemblements du mouvement druidique récemment apparu et inspiré de Grande-Bretagne, que des manifestations du mouvement culturel breton.

Durant l’entre-deux-guerres, des groupes nationalistes s’approprient et politisent les idées celtisantes, considérées comme régénératrices pour la Bretagne.

Irlande à jamais !
Ode aux martyrs de 1916 (Chapitre IV)

Durée : 2 min 58 Poids : 2,5 Mo

Ecrit en 1919 par Camille Le Mercier d'Erm, poète et l'un des fondateurs du parti nationaliste breton (PNB) en 1911.
Texte lu par Simon Gauchet
Montage sonore par Arnaud Géré.

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En avril 1916, l'Irish Republican Brotherhood (IRB) déclenche une insurrection à Dublin contre la domination britannique. Patrick Pearse, l'un des leaders du mouvement, proclame la République d'Irlande. La révolte est un échec militaire sanglant, et aux nombreux morts des combats s'ajoutent les exécutions des principaux meneurs du mouvement (Pearse, MacDonagh, Clarke, Connolly ...). Camille Le Mercier d'Erm, fondateur du premier parti nationaliste breton (PNB) en 1911, publie en 1919 une ode à cette tentative de libération du peuple irlandais. L'ouvrage Irlande à jamais ! Ode aux martyrs de 1916, glorifie le sacrifice et la lutte de ces "frères d'Irlande". Voici le chapitre IV de ce livre :

Mourez ! mourez ! vous tous qui luttiez pour l'Irlande,
Ô mes frères, ô vous ses plus nobles enfants.
Votre vie était sainte et votre mort est grande
Et votre mort vous défend.
Votre mort vous défend contre leur basse injure...
Mourez, Patrik et Will Pearse, Clarke, oh ! mourez,
Mac-Dermott, Mac-Donagh, ô vous que transfigure
Un héroïsme sacré !

Mourez, Ceannt, Connolly, Plunkett, mourez, mes frères !
Mourez, Mac-Neil, O'Hannahan, O'Rahilly !
Mourez, vous tous, puisque les destins sont contraires !
Mourez, Skeffington, Daly !

Meurs, ô toi qui menais la brigade irlandaise,
Au Transwaal, coutre les Anglais, Mac-Bride, et toi,
Casement, dont le supplice a fait rugir d'aise
Toute l'Albion sans foi !

Mourez, mourez d'avoir dévoué votre vie !
Dormez du grand sommeil sans crainte et sans remords !
Je vous chante et vous pleure et vous aime, et j'envie
La splendeur de votre mort.

Hosannah ! gloire à vous, à vous tous, hommes braves,
Aux illustres, à ceux dont j'ignore les noms,
À tous ceux que l'Anglais n'aura pu rendre esclaves
Sous le feu de ses canons.

Gloire à tous les Gaëls qu'un saint espoir anime !
Gloire aux Sinn-Fein tombés pour leur rêve éternel !
Gloire aux justes trahis, gloire aux fils magnanimes
De Patrik et d'O'Connel !

Gloire à ceux qui t'ont fait leur intégrale offrande,
Bamba ! gloire à leur geste impétueux et beau !
Gloire à la jeune République de l'Irlande,
Vivante dans son tombeau !

Ah ! reposez au sein des terres maternelles,
Frères, et que le Trèfle rouge sur vos corps
Fleurisse, et que la harpe aux plaintes solennelles
Vous berce de ses accords !
Dormez, Celtes, au chant de la Harpe sacrée,
De la Harpe d'Eir-Ean qu'un sang noble empourpra,
Dormez en attendant l'heure tant espérée...
L'Irlande vous vengera.

Une du journal Breiz Atao, parue en juin 1927. En bleu, le titre du journal est écrit en arc de
                  cercle, stylisé, et surmonte des motifs d’entrelacs. Le journal est sous-titré « la nation bretonne,
                  revue mensuelle du nationalisme breton et du fédéralisme international ». Une citation de Paul Bourget
                  est ensuite inscrite : « Il suffit d’avoir visité quelques recoins un peu perdus de notre Bretagne, ou
                  de l’Irlande, pour avoir l’impression, lucide jusqu’à l’évidence, que c’est en effet une race originale
                   et tout à fait différente de la nôtre, qui continue à vivre sur la terre des ancêtres ».

Breiz Atao

Revue
Juin 1927
Centre de Recherche Bretonne et Celtique - UBO - Brest

En 1919, se sentant illégitimes face à la génération de la Grande Guerre, de jeunes gens fondent le journal Breiz Atao (Bretagne toujours) qui prétend régénérer les Bretons. Il prône un temps le panceltisme et devient la voix d'un nationalisme local. Sans écho auprès de la population, le journal alimente néanmoins une tendance identitaire nationale bretonne qui se décrédibilise au cours de la Seconde Guerre mondiale, du fait de la collaboration de nombre de ses membres avec l’Allemagne nazie.

Une du journal Breiz Atao parue le 12 mai 1935.  Sur le dessin d’un révolutionnaire irlandais
               armé, la une indique « 1916 ! Il y a 19 ans, les Irlandais ont sauvé leur pays en versant leur sang pour lui ».

Breiz Atao

Journal
12 mai 1935
Centre de Recherche Bretonne et Celtique - UBO – Brest

La révolution irlandaise de 1916 fascine les militants nationalistes, qui entendent régénérer les Bretons, "francisés" par la guerre, grâce à la fréquentation de leurs supposés frères celtes et de leur apport culturel. Le celtisme devient idéologique. Mais les contacts pris avec Irlandais et Gallois dans les années 1920 déçoivent, et dès 1931, le Parti national breton regarde vers l’Allemagne.


Artistes et inspiration celtique

Mais la période est surtout celle de l'invention consciente d'une certaine image de la Bretagne véhiculée par le tourisme et le folklore. Des courants artistiques puisent abondamment dans les thèmes d'un héritage celtique réinterprété, comme le mouvement Ar Seiz Breur.

Linogravure dans les tons rouges et bleus représentant Saint Pol en évêque portant la chape et la mitre, et au vêtement orné d’une hermine. Il est inscrit »Sant Pol pedit evidomp», ce qui signifie »Saint Pol priez pour nous» en français. De sa main gauche, il terrasse le dragon marin avec sa crosse. A l'arrière-plan, l'océan, dont les vagues reprennent les motifs d’entrelacs d’inspiration celtique.

Sant Pol pedit evidomp

Estampe
Pierre Péron (graveur)
Musée de Bretagne, Rennes
Licence CC-BY-NC-ND
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Fauteuil au dos sculpté d'un triskell très travaillé. Les accotoirs sont plats, creusés et rainurés. Les montants sont sculptés de motifs géométriques. Les côtés sont pleins et sculptés d'entrelacs celtes.

Fauteuil

Jacques Philippe (sculpteur, ébéniste)
Entre 1930 et 1939
Musée de Bretagne, Rennes
Licence CC-BY-NC-ND
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Dans leur volonté d'associer tradition et renouveau, les membres des Seiz Breur accordent au mobilier une place singulière qu'ils concrétisent lors de l'exposition des arts décoratifs de 1925. Si Jeanne Malivel et René-Yves Creston en sont les designers, la réalisation est confiée aux ébénistes Gaston Sébilleau, Joseph Savina, ou encore Christian Lepart. Lignes robustes, pans coupés, sobriété des formes et des motifs sculptés associent fonctionnalité et inspiration celtique renouvelée.

René-Yves Creston et Pierre Péron s'associent pour créer une collection de bijoux et de pièces d'orfèvrerie utilitaires. Formes et motifs sont le fruit de leur créativité, la réalisation est confiée à l'orfèvre parisien Rivière. Cette collection regroupe bagues, bracelets, broches, pendentifs, boucles d'oreilles…ornés de motifs inspirés du vêtement bigouden et de l'héraldique bretonne. Le triskell y occupe une place de choix.

Broche de forme circulaire et munie d’un fermoir au dos. Un bandeau occupe le pourtour du bijou, orné de volutes et entrelacs. Le centre de la broche reçoit un décor cruciforme composé de cercles et crosses juxtaposées, pouvant rappeler la croix celtique. Broche de forme circulaire flanquée de deux cercles plus petits, qui représentent deux volutes reliées entre elles par une ligne dorée barrant le motif central. Le motif central, vert et doré, représente une roue solaire.

Broches

Broches Pierre Péron, Bijoux Kelt, édition Rivière
Musée de Bretagne, Rennes
Licence CC-BY-NC-ND
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Assiette décorée d’un liseré bleu et ornée en son centre de motifs géométriques bleus d’inspiration celtique.

Assiette

Suzanne Creston (peintre, céramiste), Faïencerie Henriot (HR)
1924
Musée de Bretagne, Rennes
©Tous droits réservés
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Le domaine de la céramique est celui dans lequel création et diffusion ont été les plus abouties. Avant même les Seiz Breur des artistes comme Mathurin Méheut ou René Quillivic ont ouvert la voie grâce au soutien des manufactures quimpéroises.

Si la thématique bretonne est bien présente, elle est associée tant par la forme que par le décor à une modernité beaucoup plus large, inspirée notamment du mouvement Art déco.

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Icône Bécédia
  • Le néodruidisme
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