2. Celtomanie

Du 18ème au 19ème siècle


La Bretagne comme terre celtique

À partir du 18ème siècle et surtout du 19ème siècle, le celtisme prend de l'ampleur : à l'heure où les États-nations européens mettent en exergue les racines des peuples, et où la France glorifie son passé gaulois, la Bretagne devient la terre celtique par excellence.

Le développement du celtisme en Bretagne est indissociable de la mise en place progressive du récit national français.

Planche extraite du dictionnaire d’architecture d’Ernest Bosc représentant des motifs de broderies bretonnes avec de nombreuses figures géométriques et entrelacs. L’inscription « Gaulois (art) » figure sous la représentation des broderies.

Gaulois (Art) broderies bretonnes

Page de livre
E. Bosc (dessinateur), Imprimerie Didot F. & Cie
1877-1880
Musée de Bretagne, Rennes
Portail des collections

Représentation (lithographie) du site mégalithique de Carnac, sur lequel se promènent des personnages.

Monuments druidiques de Carnac

Estampe
Félix Benoist (dessinateur), Adolphe Bayot (dessinateur), Léon Sabatier (Lithographe), Éditions Charpentier
Musée de Bretagne, Rennes
Portail des collections

Tout dans la région est rattaché, parfois abusivement, aux Celtes de l'Antiquité : les dolmens et menhirs, les pratiques culturelles et populaires "traditionnelles" que le peuple breton aurait conservées. Au 19ème siècle, la langue bretonne est considérée comme la mémoire vivante du gaulois.

Enfin, dans une Europe où se développe le romantisme et s'affirme le mouvement des nationalités, le 19ème siècle esthétise et « ré-enchante » la Bretagne, créant des images durables.

Le monde celte, discours d'Anatole le Braz

Durée : 3 min 47 Poids : 3,2 Mo

Prononcé à la distribution des prix du Lycée de Quimper, 31 juillet 1888
Texte lu par Simon Gauchet
Montage sonore par Arnaud Géré

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En 1886, Anatole Le Braz revient en Bretagne pour y occuper un poste de professeur de littérature de langues française et bretonne au Lycée de Quimper. Aux côtés de François-Marie Luzel, l'un des principaux contradicteurs de La Villemarqué et de son Barzaz-Breiz, il se forme au travail de collecte de contes et récits populaires en Bretagne. Dans le contexte des réflexions sur l'identité nationale et régionale portées par certains intellectuels français de l'époque comme Ernest Renan, il livre à ses élèves dans un discours sa vision d'une Bretagne devant laisser place à son héritage celte. Ce discours, Le monde celte est prononcé à la distribution des prix du lycée de Quimper le 31 juillet 1888.

"Jeunes élèves,

Puisque l'honneur m'est échu de clore l'année universitaire par cette suprême leçon qui s'appelle un discours de distribution des prix, je vous demanderai la permission d'en faire une sorte d'épilogue aux cours que, six mois durant, j'ai eu à professer devant quelques-uns d'entre vous.

En étudiant alors avec eux la marche des civilisations, la rude et patiente épopée de l'effort humain, je leur montrais l'histoire obéissant comme la nature aux lois de la sélection des êtres, ayant comme elle ses races élues et des espèces sacrifiées. […] Au premier rang de ceux qu'elle a frappés de ce douloureux ostracisme, il faut mentionner les Celtes, nos aïeux lointains, les Celtes, qui, après avoir été les vaincus du monde, sont demeurés les proscrits de l'histoire. En me risquant aujourd'hui à vous parler d'eux, je fais plus que compléter un enseignement de six mois, je proteste contre l'injustice de vingt siècles, et, Breton, m'adressant à des Bretons, je suis sûr d'avance que ma protestation trouvera son écho.

Qu'étaient les Celtes ? D'où venaient-ils ? Ces questions, M. Waldeck-Rousseau les posait hier à M. Renan, dans l'un de ces diners qui réunissent quelquefois, à Paris, les dispersés de la Bretagne. Espérons que M. Renan se croira tenu de répondre. […] Je ne tenterai naturellement pas, avant le maître divinateur, cette hardie exploration des âges.

[…]

L'Europe ne saurait oublier qu'à certaines heures elle a vécu de l'âme celte. C'est la poésie de nos pères, qui, au Moyen Âge, a nourri les littératures romane et germanique, qui leur a communiqué sa grâce pénétrante et sa mélancolique fierté. Le goût des équipées idéales, le culte de la femme, le sentiment d'une fraternité mystérieuse entre la nature et l'être, tous ces dogmes des temps chevaleresques sont des conceptions essentiellement celtiques.

N'eussions-nous que cette page à notre actif dans le bilan de l'histoire, que notre part serait encore honorable et belle. Mais je ne m'imagine pas que nous ayons dit notre dernier mot. Je crois à des lendemains assurés pour une race qui a victorieusement bravé l'effort de vingt siècles et que Michelet définit comme la plus sympathique et la plus perfectible des familles humaines. […] Certes, il serait absurde de rêver une reconstitution intégrale de ce que le temps a dissous. Souhaiter une civilisation celtique serait une chimère d'esprit malade. Mais pourquoi, l'élément celte n'entrerait-il pas, sans s'y anéantir dans le concert des forces modernes ? Nos frères du pays de Galles ont déjà donné l'exemple. Conciliant leurs intérêts avec leurs aspirations, ils sont devenus Anglais dans la mesure du nécessaire, pour rester eux-mêmes, dans la mesure du possible. La reine n'a pas de sujets plus fidèles, la vieille race n'a pas de fils plus respectueux. Pourquoi l'expérience des Kymris d'Angleterre ne servirait- elle pas aux Bretons de France ?"

Les chants du Barzaz Breiz

Reprise de chants et d'airs du Barzaz Breiz
Réalisé par Pierre Stephan

Les figures esthétisées de la Bretagne

Scène intitulée représentant la chevauchée de l'Ankou, le personnage fouette deux chevaux courant au
                 grand galop, il porte son fouet et sa faux. L'image est composée de multiples scènes et comporte
                 de nombreuses références aux légendes celtiques et bretonnes.

Burzudou-Nedellek (Les merveilles de la nuit de Noël)

Estampe A. Collin (dessinateur), Prosper Saint-Germain (graveur)
Éditions W. Coquebert, Imprimerie Formentin
1844
Musée de Bretagne, Rennes

Offerte aux premiers souscripteurs du recueil de contes d'Émile Souvestre, Le foyer breton, cette estampe représente la chevauchée de l'Ankou. Potentiel héritage de la mythologie celtique, cette personnification du serviteur de la mort est très présente dans la tradition orale bretonne. L'image fourmille par ailleurs de références aux traditions celtiques et aux légendes bretonnes : fées, korrigans...

En 1809, apparaît la figure de la druidesse armoricaine Velléda, prophétesse tragique des Martyrs de Chateaubriand, révoltée contre l'empereur romain. Empruntée à l’historien antique Tacite, elle devient une véritable héroïne romantique et un sujet à la mode auprès des artistes. Couronnée d'une branche de chêne, elle a ici pour attribut une harpe.

Statuette sculptée en terre cuite représentant la druidesse Velléda. Elle est vêtue d’une robe courte, dévoilant son sein droit, et tient une harpe à la main. A sa ceinture, est attachée une serpe.

Velléda

Terre cuite
François Lepère (sculpteur)
Vers 1860
Musée d'Orsay, Paris
© RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / René-Gabriel Ojeda

Huile sur toile représentant le thème de la légende de la Ville d’Ys, et la fuite du roi
             Gradlon. Deux cavaliers à cheval sont représentés au milieu d'une mer agitée. A gauche Saint-Guénolé et
             à droite le roi Gradlon sur son cheval se cabrant. On voit le roi Gradlon pousser vers l’eau sa fille
              Dahut, qui chevauchait sur la croupe de son cheval. La scène représentée est ainsi le sacrifice de
              Dahut par son père le roi Gradlon, la mer agitée évoquant la ville d’Ys envahie par les eaux.

La fuite de Gradlon

Evariste Vital Luminais (peintre)
Vers 1884
Transfert de propriété de l'Etat à la Ville de Quimper en 2013
©Musée des Beaux-Arts de Quimper

La ville légendaire d'Ys, capitale du roi Gradlon, aurait été engloutie par l'océan. Malgré sa forte christianisation, où l'engloutissement peut être lu comme la cause des péchés de ses habitants, on y retrouve le thème, issu de la mythologie celtique, de l'Autre Monde, qui suit la mort et peut être localisé sous la mer. La figure de Dahut, fille du roi, renverrait à une déesse ou une fée gardienne des eaux. Transmise essentiellement par le conte et le chant, la légende est largement diffusée au 19ème siècle par les folkloristes.

La tradition hagiographique rapporte qu'Yvarnion, barde renommé de l'île de Bretagne au 6ème siècle, de passage en Armorique, rencontre après un rêve et guidé par un ange, Ravanone (ou Riwanon), qu'il trouve puisant de l'eau à une fontaine. De leur union naît saint Hervé. Ce sujet rare dans l'œuvre d'Aubert, né à Nantes, montre que les thèmes romantiques avaient encore cours à la fin du 19ème siècle.

Représentation de la rencontre entre le barde Yvarnion et Ravanone. La scène se déroule sous un chêne, et Ravanone, vêtue d’une robe longue couleur ivoire, et portant un bouquet de fleurs sauvages sur ses genoux, est assise sur une construction mégalithique ressemblant à un dolmen. Vêtu d’une cape, et représenté le regard rêveur, portant sa harpe sur l’épaule, le barde Yvarnion est représenté debout à côté de Ravanone, le coude appuyé sur la construction mégalithique.

Le barde Yvarnion et Ravanone

Joseph Aubert (peintre)
1883
Collection musée des beaux-arts, La Cohue-Vannes

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