La construction d’un récit

Du Moyen Âge au 20ème siècle, un récit particulier s'est construit autour de l'identité celte de la Bretagne. Celui-ci se fonde notamment sur les phénomènes migratoires du haut Moyen Âge et leurs conséquences culturelles dont l'ampleur n'est pas encore parfaitement connue.

Parfois éloigné de la réalité historique de la région, ce récit se transforme et s'exprime différemment selon les époques. Répondant tour à tour à des objectifs politiques, stratégiques, culturels…, il a contribué à la construction de l'identité régionale.

Le celtisme, l'ensemble des connaissances liées aux Celtes, longtemps investi uniquement par les lettrés et les intellectuels, se popularise progressivement au 20ème siècle, en particulier grâce au renouveau musical. De récentes découvertes archéologiques viennent de leur côté éclairer la présence des Celtes sur le territoire.

Affiche illustrée en couleur pour la promotion des chemins de fer à destination de la Bretagne. L’illustration montre des femmes avec des coiffes en train de danser au milieu de menhirs et autour d’un feu, avec la mer en arrière-plan.

« Feux de la Saint-Jean aux Menhirs du Moulin St Pierre de Quiberon »

Affiche des chemins de fer d'Orléans
Moreno (affichiste), Imprimerie Moderne M. de Brunoff & Cie
1902
Musée de Bretagne, Rennes

Le mécanisme identitaire
Durée : 4 min 20 (32 Mo)
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Comment se fabrique l’identité culturelle ?

Si le yodel tyrolien, le sirtaki, le biniou braz, les castagnettes ou le coucou suisse peuvent paraître clichés, ils participent pourtant à l’identité culturelle d’une région ou d’un pays.

C’est dans un contexte de grandes mutations sociales et industrielles que les nations européennes du 19ème siècle trouvent dans leurs traditions populaires un moyen de se projeter dans l’avenir sans perdre leur identité. Longtemps ignorées, ces traditions, souvent d'origine rurale, seraient l’expression d’une culture nationale originelle dont le peuple détiendrait et transmettrait les savoirs et les rites ancestraux.

Mais encore fallait-il recenser et valoriser cet héritage culturel commun. Voilà comment les nations européennes se sont engagées dans une gigantesque fabrique d’identité culturelle.

Et l’Europe entière se découvre une véritable passion pour les langues populaires considérées jusqu’ici comme triviales et grossières.

En 1760, James Macpherson a l’idée de retranscrire des chants populaires écossais dans un recueil retraçant l’épopée celtique du barde Ossian. La mode est lancée et aux quatre coins du continent, les intellectuels battent la campagne pour collecter les langues et les traditions orales de leur région. Les publications foisonnent au 19ème siècle avec en Allemagne Les contes des frères Grimm, Le merveilleux voyage de Nils Olgersson de la suédoise Selma Lagerlöf, le Barzaz Breiz breton ou encore Prosper Mérimée qui édite un recueil de chants populaires des Balkans sans jamais y avoir mis les pieds.

Partout l’identité nationale s’écrit au fil de l’eau. Quand l’archéologie exhume les traces des illustres ancêtres de la nation, la bourgeoisie remet le costume traditionnel au goût du jour. Les meubles, la vaisselle, les outils et l’architecture rurale sont précieusement conservés dans les musées d’ethnographies qui fleurissent au cœur des capitales européennes.

Au même titre que l’histoire et les langues, les arts et traditions populaires deviennent des critères de l’identité culturelle.

Quand la modernité menace de supplanter ce patrimoine ancestral, on collecte à tout va. Fêtes, danse, théâtre, croyances et coutumes : tout ce qui est traditionnel, folklorique et rural est tendance. Quitte à revisiter ou à réinventer certaines traditions pour séduire un public exigeant. Car la culture populaire est autant une source d’inspiration pour les artistes qu’un spectacle pittoresque pour le tourisme bourgeois du 19ème siècle.

Le folklore et ses produits dérivés constituent une référence identitaire utilisée dans des perspectives idéologiques très diversifiées. Ce socle culturel commun ravive le sentiment d’appartenance et sert d’outil de propagande pour certains régimes nationalistes du 20ème siècle.

Face à la mondialisation, les traditions populaires sont souvent brandies comme un étendard pour toutes sortes de revendications autonomistes ou de replis xénophobes.

Au Tyrol le yodel, à la Grèce le sirtaki, aux bretons le biniou braz : chaque région perpétue ses traditions culturelles comme autant de références touristiques pour la culture de masse.

Les sociétés contemporaines se réapproprient constamment leur héritage culturel sans cesse renouvelé, reconstruit et réinvestit en fonction de leur évolution. La construction de l’héritage celte en Bretagne correspond pleinement à cette nécessité universelle de se fabriquer une identité culturelle commune. Cette quête identitaire née au 19ème siècle reste toujours d’actualité dans le contexte mondial de globalisation et d’uniformisation culturelle.

Motion Agency (réalisation)
Musée de Bretagne, Rennes
2022

Menhir

Suite de la lecture

  1. Mythes fondateurs

    Du 9ème au 16ème siècle

  2. Celtomanie

    Du 18ème siècle au 19ème siècle

  3. Régionalisme et panceltisme

    De la fin du 19ème siècle à 1945

  4. Celt’attitude

    De 1945 à 1990

  5. Épilogue

    Et aujourd’hui ?