Comment se fabrique l’identité culturelle ?
Si le yodel tyrolien, le sirtaki, le biniou braz, les castagnettes ou le coucou suisse peuvent paraître clichés, ils participent pourtant à l’identité culturelle d’une région ou d’un pays.
C’est dans un contexte de grandes mutations sociales et industrielles que les nations européennes du 19ème siècle trouvent dans leurs traditions populaires un moyen de se projeter dans l’avenir sans perdre leur identité. Longtemps ignorées, ces traditions, souvent d'origine rurale, seraient l’expression d’une culture nationale originelle dont le peuple détiendrait et transmettrait les savoirs et les rites ancestraux.
Mais encore fallait-il recenser et valoriser cet héritage culturel commun. Voilà comment les nations européennes se sont engagées dans une gigantesque fabrique d’identité culturelle.
Et l’Europe entière se découvre une véritable passion pour les langues populaires considérées jusqu’ici comme triviales et grossières.
En 1760, James Macpherson a l’idée de retranscrire des chants populaires écossais dans un recueil retraçant l’épopée celtique du barde Ossian. La mode est lancée et aux quatre coins du continent, les intellectuels battent la campagne pour collecter les langues et les traditions orales de leur région. Les publications foisonnent au 19ème siècle avec en Allemagne Les contes des frères Grimm, Le merveilleux voyage de Nils Olgersson de la suédoise Selma Lagerlöf, le Barzaz Breiz breton ou encore Prosper Mérimée qui édite un recueil de chants populaires des Balkans sans jamais y avoir mis les pieds.
Partout l’identité nationale s’écrit au fil de l’eau. Quand l’archéologie exhume les traces des illustres ancêtres de la nation, la bourgeoisie remet le costume traditionnel au goût du jour. Les meubles, la vaisselle, les outils et l’architecture rurale sont précieusement conservés dans les musées d’ethnographies qui fleurissent au cœur des capitales européennes.
Au même titre que l’histoire et les langues, les arts et traditions populaires deviennent des critères de l’identité culturelle.
Quand la modernité menace de supplanter ce patrimoine ancestral, on collecte à tout va. Fêtes, danse, théâtre, croyances et coutumes : tout ce qui est traditionnel, folklorique et rural est tendance. Quitte à revisiter ou à réinventer certaines traditions pour séduire un public exigeant. Car la culture populaire est autant une source d’inspiration pour les artistes qu’un spectacle pittoresque pour le tourisme bourgeois du 19ème siècle.
Le folklore et ses produits dérivés constituent une référence identitaire utilisée dans des perspectives idéologiques très diversifiées. Ce socle culturel commun ravive le sentiment d’appartenance et sert d’outil de propagande pour certains régimes nationalistes du 20ème siècle.
Face à la mondialisation, les traditions populaires sont souvent brandies comme un étendard pour toutes sortes de revendications autonomistes ou de replis xénophobes.
Au Tyrol le yodel, à la Grèce le sirtaki, aux bretons le biniou braz : chaque région perpétue ses traditions culturelles comme autant de références touristiques pour la culture de masse.
Les sociétés contemporaines se réapproprient constamment leur héritage culturel sans cesse renouvelé, reconstruit et réinvestit en fonction de leur évolution. La construction de l’héritage celte en Bretagne correspond pleinement à cette nécessité universelle de se fabriquer une identité culturelle commune. Cette quête identitaire née au 19ème siècle reste toujours d’actualité dans le contexte mondial de globalisation et d’uniformisation culturelle.